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Le fatalisme des privilégiés

16 mars 2017

  • Julia Posca

Tout indique que le budget qui sera déposé à Québec le 28 mars prochain en sera un de récompenses. Hier, on apprenait que des baisses d’impôt de l’ordre de 100 à 500 millions de dollars devraient être consenties aux contribuables, tandis qu’en octobre, le ministre des Finances Carlos Leitão avait annoncé dans le cadre de la mise à jour économique des investissements de 2,2 milliards pour les trois prochaines années, dont 510 millions seront dédiés l’an prochain à la santé, à l’éducation et au développement des régions.

Au moment de partager la nouvelle, le gouvernement de Philippe Couillard avait aussi versé 1,4 milliard de dollars dans le Fonds des générations pour 2015-2016, et prévoyait y ajouter un montant de 2 milliards pour l’année qui se terminera le 31 mars prochain. L’annonce survenait un mois après que la Protectrice du citoyen ait démontré que les coupes dans les services publics avaient particulièrement affecté les personnes les plus vulnérables en réduisant les services à la population – et non, tel que prévu, la bureaucratie.

À l’approche des élections de 2018, ces annonces nous rappellent ainsi que la politique d’austérité avait d’abord et avant tout été conçue par les Libéraux comme un message destiné au secteur financier et au milieu des affaires, adeptes du dogme de l’équilibre budgétaire. Couper pour mieux réinvestir, voilà un programme qui convient à ceux et celles qui gouvernent pour les agences de notation, mais qui après quatre ans doivent tout de même obtenir la faveur de l’électorat.

Les vrais partisans de l’orthodoxie économique, cependant, ne dérogent jamais de leur credo. Perpétuant le slogan de Margaret Thatcher (« there is no alternative »), ils ramènent constamment les citoyens et citoyennes à l’ordre, leur rappelant que la dette publique est synonyme de fin du monde, et traitant ceux et celles qui nuancent ce discours alarmiste de dangereux hérétiques.

Lundi dernier, c’est le chroniqueur David Descôteaux, anciennement associé à l’Institut économique de Montréal, qui, sur la base de prévisions sur le vieillissement de la population et l’augmentation de la dette, exposait la catastrophe à venir :

« Pas de doute, cette réalité démographique – et mathématique – va forcer un réajustement de notre État-providence, dont on expérimente aujourd’hui à peine les premiers soubresauts. Il va falloir trouver des façons moins coûteuses de livrer les services et décider de ce qui est essentiel ou non. Enlevez vos lunettes roses. La vraie austérité, on ne l’a pas encore vécue. »

Le chroniqueur nous annonce la faillite alors que le service de la dette du Québec est sous contrôle. Plus important encore, le ratio d’endettement n’a augmenté dans les vingt dernières années qu’à la suite de la crise économique de 2008, un fait qui est toujours passé sous silence par nos prophètes de l’apocalypse.

En parler les forcerait à dire que cette crise a été causée par l’irresponsabilité d’entreprises du secteur financier, et que le ralentissement économique qu’elle a entraîné a affecté les revenus des États ; les obligerait à avouer que c’est cette situation qui a justifié un resserrement des dépenses publiques, à confesser que les coupes ont eu l’effet inverse de celui escompté, avec pour résultat que la croissance économique tarde à décoller.

Faisant fi de cette conjoncture, les prédicateurs du déficit zéro continuent de marteler que les citoyens et citoyennes n’ont pas encore fait assez de sacrifices. Normal, car ce ne sont jamais eux qui subissent les conséquences de l’austérité. Ce ne sont pas eux qui n’ont que quelques minutes pour faire la toilette de personnes en perte d’autonomie dans les CHSLD de la province. Pas eux non plus qui soignent à la chaîne des malades dans des urgences pleines à craquer, ni eux qui essaient de transmettre des connaissances à des classes d’élèves où les troubles d’apprentissage sont désormais la norme.

Du haut de leur chaire dorée, les disciples de l’équilibre budgétaire se contentent de sermonner ceux et surtout celles qui se démènent pour assurer le bien-être de leurs proches, sans considération aucune pour les répercussions des politiques qu’ils et elles défendent sur les inégalités entre les hommes et les femmes, sur l’érosion de la classe moyenne, sur la santé de la population, sur le développement des enfants, sur l’état de nos infrastructures.

Ils et elles veulent en finir avec l’État-providence, sous prétexte que « les Québécois sont les plus taxés en Amérique du Nord », alors que les données de l’OCDE montrent plutôt que le Québec est « le paradis des familles ». Et surtout, surtout, ils et elles ne parleront jamais des revenus que l’État perd – que nous perdons – à cause de l’évasion fiscale (KPMG, ça vous dit quelque chose?), ni de ceux que l’on pourrait aller chercher si tous les revenus étaient imposés pleinement comme ceux des simples salarié·e·s.

Il n’y a pas de fatalité en matière de finances publiques, sauf lorsqu’on a pour seule ambition de protéger les intérêts d’une minorité de privilégiés.

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