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La péréquation : un hold-up québécois ?

3 juillet 2012

  • PB
    Pierre Beaulne

Est-il normal que les Albertains paient par le biais de la péréquation les programmes sociaux trop généreux que les Québécois s’offrent, surtout quand ils se font faire la morale au sujet de l’environnement par des gens qui refusent d’exploiter leurs propres ressources gazières et pétrolières ?

Voilà résumée la thèse soutenue par Danielle Smith, la très libertarienne cheffe du Parti Wildrose, un parti à droite de la droite qui a sérieusement menacé les conservateurs au pouvoir en Alberta depuis 41 ans lors des élections d’avril dernier. Ces prétentions sont-elles fondées ?

Les transferts financiers au sein de la fédération canadienne constituent un phénomène complexe, sensible aussi aux aléas de la conjoncture. C’est un domaine où les visions réductrices et les simplifications abusives risquent davantage d’alimenter les préjugés que d’éclairer la réflexion.

Le programme de péréquation vise à permettre aux provinces moins riches, dont la capacité fiscale est moindre par conséquent, d’offrir à leurs citoyens des services publics sensiblement comparables à ceux offerts dans les autres provinces. Le programme repose sur une formule utilisée pour calculer les écarts de capacité fiscale des provinces par rapport à une norme canadienne (la capacité fiscale correspond aux revenus potentiels qu’une province pourrait obtenir si elle appliquait les taux de taxation moyens des dix provinces). Le gouvernement fédéral verse aux provinces se situant sous la norme un montant par habitant qui comble l’écart. Présentement, six provinces reçoivent des paiements de péréquation, tandis que quatre autres n’en reçoivent pas, à savoir l’Alberta, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador. À l’exception de la Colombie-Britannique, il s’agit des provinces où se concentre l’exploitation des ressources gazières et pétrolières.

Le Québec reçoit un montant par habitant nettement plus faible que celui accordé aux autres provinces récipiendaires, qui sont moins riches : 984 $ en 2011 comparativement à 1 254$ pour la Nouvelle-Écosse, 1 388$ pour le Manitoba, 1 990$ pour le Nouveau-Brunswick et 2 358$ pour l’Île-du-Prince-Édouard. Mais comme le Québec a une population plus importante, il reçoit la moitié de l’enveloppe consacrée à la péréquation, soit 7,6 milliards sur 14,6 milliards. L’Ontario, qui a basculé récemment du côté des provinces récipiendaires, reçoit seulement 181$ par habitant, mais cela lui vaut un versement de 2,3 milliards, du fait de ses 13 millions d’habitants.

Il n’est pas inutile de rappeler que la péréquation n’est pas un mécanisme de transfert direct de ressources financières d’une province à l’autre. C’est un programme fédéral de transfert aux gouvernements provinciaux, tout comme le Transfert canadien en matière de santé (TCS) ou le Transfert canadien en matière de programmes sociaux (TCPS). Une partie importante de l’activité du gouvernement fédéral est aussi constituée de transferts aux personnes ou aux entreprises, comme la sécurité de vieillesse, l’assurance-emploi, l’aide aux familles. Le gouvernement fédéral, pour une bonne part, est une grosse machine de redistribution des revenus. Par conséquent, si on veut savoir qui subventionne qui, il est plus logique d’examiner le bilan de l’ensemble des dépenses effectuées par le gouvernement fédéral dans les provinces, au regard des recettes fiscales qu’il y prélève.

Les données de Statistique Canada à cet égard (13-018-X) montrent que le solde des opérations du gouvernement fédéral au Québec (les revenus moins les dépenses y compris les frais de la dette imputés au prorata de la population) est négatif depuis longtemps. L’ampleur de ce déficit est assez sensible aux effets de la conjoncture. Au cours de la période de croissance, de 1997 à 2007, alors que le gouvernement fédéral enregistrait des excédents budgétaires, le déficit de ses opérations par rapport au Québec s’élevait à 3,9 milliards par an en moyenne. Une bonne partie de la péréquation de 7,6 milliards versée au Québec ne représente donc qu’un retour des taxes et impôts prélevés au Québec même.

Il faut aussi considérer que les transferts financiers reçus dans une province servent à acheter des produits dans d’autres provinces. Au chapitre du commerce interprovincial, le Québec enregistre un déficit annuel d’environ 2 milliards, si bien qu’une autre partie des transferts reçus retourne d’où elle provient.

En ce qui a trait aux soi-disant « programmes sociaux trop généreux que le Québec s’offre aux frais des Albertains », une réfutation intéressante a été présentée par le gouvernement du Québec dans un fascicule accompagnant le budget de 2011-2012. D’après les calculs de péréquation, le Québec dispose d’une capacité fiscale de 6 088 $ par habitant avant péréquation et de 7 072 $ après péréquation, soit 984 $ de plus. Ce niveau ne reflète pas entièrement la capacité fiscale moyenne des provinces car seulement la moitié des revenus tirés des ressources naturelles sont pris en considération dans la formule. La capacité fiscale réelle des provinces se situe plutôt à 7 436 $. Le Québec doit donc taxer 364 $ de plus par habitant pour offrir des services à la hauteur de la moyenne canadienne. Mais en fait, les revenus effectivement perçus par le Québec totalisent 8 520 $ par habitant, soit 1 084 $ de plus que la moyenne canadienne. Ce supplément d’impôt reflète le choix d’offrir davantage de services publics. Il est donc faux de prétendre que le Québec s’offre des services publics plus étendus financés par les autres Canadiens. Ces services publics plus étendus sont financés par des prélèvements fiscaux plus élevés qu’ailleurs.

Le même exercice appliqué à l’Alberta montre que cette province dispose d’une capacité fiscale de 12 710 $ par habitant, mais qu’elle perçoit des revenus de 9 545 $ par habitant, en moyenne.  Malgré des taux d’imposition plus faibles, ses revenus fiscaux sont supérieurs à ceux du Québec, à cause du pétrole, bien entendu. Si la province n’offre pas des services publics aussi étendus qu’au Québec, c’est par choix et non faute de ressources fiscales suffisantes.

Un examen plus attentif des données fait ressortir des tendances préoccupantes en ce qui a trait aux transferts. Comme le précise la brochure du gouvernement du Québec évoquée précédemment, les principaux transferts fédéraux aux provinces ont diminué de 3,7 % du PIB en 1981 à 3,1 % en 2011. Mais il y a plus. En 1981, les transferts à degré élevé de redistribution, comme les transferts pour l’aide sociale et la péréquation, totalisaient autant que les autres transferts, soit 1,8 % du PIB. En 2011, cette part était tombée à 0,9 % du PIB, alors que la part consacrée aux transferts au prorata de la population, comme les transferts pour la santé ou l’enseignement supérieur, atteignait 2,3 % du PIB. Contrairement à ce que certains veulent faire croire, les transferts fédéraux aux provinces sont de moins en moins redistributifs.

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