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La « crise » du déficit n’a pas les conséquences de la crise environnementale

16 novembre 2020

  • NV
    Nicolas Viens

Les récentes projections du déficit fédéral pour l’année 2020-2021, qu’on estime atteindre plus de 343 milliards, ont eu un effet de choc à travers les médias ainsi que la sphère politique canadienne. L’ampleur de la dette fédérale a vite été critiquée par plusieurs, surtout par l’opposition au gouvernement libéral, qui considère que le gouvernement devrait faire de cet enjeu sa priorité. Au vu des dernières données climatiques, il serait pourtant plus opportun de considérer l’environnement comme l’enjeu à prioriser pour le gouvernement dans les prochaines années.

En septembre dernier, l’agence scientifique indépendante allemande « Climate Action Tracker » (CAT) a publié une mise à jour des efforts mondiaux pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, soit de maintenir le réchauffement climatique entre 1,5 et 2,0oC d’ici 2030. Le verdict : les efforts actuels sont nettement insuffisants, et ce, à travers le monde. En effet, en fonction des mesures en vigueur dans les pays représentant plus de 80 % de l’économie mondiale (36 pays dont le Canada et les États-Unis plus l’Union européenne), la CAT prévoit un réchauffement climatique d’environ 2,9oC d’ici 2030. De plus, le réchauffement climatique moyen a déjà dépassé le 1,1oC, seulement cinq ans après la signature de l’Accord en 2015. Il est important de rappeler que les impacts anticipés de l’atteinte de l’objectif des 2,0oC sont déjà largement plus sévères que si l’on demeure en-dessous de celui de 1,5oC. Un réchauffement encore plus élevé remet en question tous les effets estimés.

Le Canada fait partie des pays retardataires dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Selon le classement de la CAT, qui catégorise le niveau de compatibilité entre les politiques climatiques des pays surveillés et les objectifs de l’Accord de Paris, les mesures canadiennes sont qualifiées comme étant « insuffisantes » pour atteindre l’objectif de l’Accord. En fait, la CAT estime que les politiques canadiennes actuelles favorisent plutôt un réchauffement d’environ 3oC.

Cela fait maintenant plus de trois décennies que le Canada tarde à instaurer des politiques adéquates afin de réduire son taux d’émission de GES, enjeu critique pour effectuer une transition écologique vers une économie décarbonisée. L’échec des pays signataires du protocole de Kyoto du début des années 2000 à réduire leurs émissions à 6 % sous le niveau de 1990 d’ici 2012, soit environ 566 millions de tonnes équivalent de dioxyde de carbone (Mt eq. CO2) pour le Canada, n’est qu’un exemple. Il convient de rappeler que le gouvernement conservateur a retiré le pays du protocole en 2011.

Toutefois, le Canada a rejoint à nouveau l’Accord de Paris en 2015 à l’initiative du gouvernement libéral, avec l’objectif de réduire ses émissions de 30 % sous le taux de 2005, soit environ 511 Mt eq. CO2. Bien que ce nouvel objectif semble davantage ambitieux, il est qualifié comme trompeur puisque la réduction des GES se base sur l’année 2005 au lieu de 1990, évitant ainsi de considérer la forte hausse des émissions au pays, soit de 603 Mt eq. CO2 à 730 Mt eq. CO2 durant cette période. Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que, selon la CAT (ainsi qu’un rapport des Nations Unies), le pays n’est pas en voie d’atteindre cet objectif.

Le Canada semble également faire marche arrière sur plusieurs aspects de la crise climatique. La croissance majeure de l’industrie des énergies fossiles, qui a vu ses émissions croître de 82 % entre 1990 et 2018, représente désormais la plus grande source d’émissions au pays. Comment pouvons-nous réduire les émissions nationales totales à 511 Mt eq. CO2 d’ici 2030, alors que la Régie de l’énergie du Canada (REC) prévoit une croissance de la production de pétrole de plus de 50 % jusqu’en 2040? Cette croissance de l’industrie équivaudrait à environ 230 Mt eq. CO2 en 2030, soit 45 % du budget d’émissions sous l’Accord de Paris.

Sources : CAT, « Sommaire national – Canada », 2020; Gouvernement du Canada, « Émissions de gaz à effet de serre », 2020; Gouvernement du Canada, « Rapport d’inventaire national : sources et puits de gaz à effet de serre au Canada », 2020; REC, « Avenir énergétique du Canada en 2019 », 2019; UNFCC, « L’Accord de Paris », 2015.

Ces résultats déplorables soulignent d’emblée les conséquences possibles de la crise climatique. Il y a un peu plus d’un an, Environnement et Changement Climatique Canada (ECCC) publiait son « Rapport sur le climat changeant du Canada » qui montrait déjà les impacts significatifs de la crise environnementale dans l’ensemble du pays, soulignant par exemple que le Canada se réchauffe environ deux fois plus vite que le reste du monde. Le rapport fait également constat du déclin des écosystèmes marins, des périodes de sécheresse plus longues et plus intenses, du risque accru de pénuries d’eau douce en été, ainsi que de la hausse des conditions météorologiques « extrêmes » (feux de forêt, inondations et orages plus intenses et plus nombreux). Considérés ensemble, ces phénomènes risquent d’affecter l’économie canadienne de manière beaucoup plus profonde que la COVID-19 et, surtout, sur une plus longue période.

Le rapport de la CAT stipule pour sa part que « le taux et l’ampleur des changements climatiques dans le cas d’un scénario d’émissions élevées par rapport à un scénario de faibles émissions prévoient deux avenirs très différents pour le Canada ». Or, les données disponibles portent à croire que nous nous dirigeons vers un scénario d’émissions élevées. Pire encore, à cause du dégel du pergélisol dans le Nord canadien, qui contient des quantités énormes de dioxyde de carbone, la crise climatique risque de s’accélérer davantage.

Ce portrait plutôt pessimiste de la situation invite à revoir le niveau de priorité de la « crise » des finances publiques, surtout alors que les gouvernements provinciaux et fédéral préparent leur plan de relance économique en réaction à la pandémie de COVID-19. La CAT déplore déjà dans un autre rapport un manque significatif de mesures vertes dans les plans de relance pour la majorité des pays surveillés. Il est impératif pour le Canada de prioriser la décarbonisation de son économie. La dette peut attendre.

 

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