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La campagne de peur est (re)commencée

25 mai 2018

  • Julia Posca

Les élections provinciales approchent à grands pas au Québec et à nouveau, la laïcité et l’immigration sont en train de s’imposer comme des enjeux centraux de la campagne à venir. Plusieurs abordent malheureusement ces questions à partir de prémisses douteuses et contribuent ce faisant à pourrir le climat social depuis une décennie.

Un exemple parmi tant d’autres : Lise Ravary était mardi dernier au micro de Médium large pour discuter de la chronique qu’elle tient nouvellement dans The Gazette. Elle a expliqué qu’elle entendait notamment offrir au lectorat anglophone un point de vue qu’il méconnaît à propos de la laïcité et des relations interethniques. Comme elle l’a soutenu ailleurs, les journalistes anglophones du Québec mesureraient mal les risques liés à l’islam politique, puisqu’ils analysent ce phénomène du point de vue du multiculturalisme et des droits humains.

Sous-entendu : la laïcité est menacée par les tenants de l’islamisme.

Les francophones, pour leur part, seraient davantage exposés à ce qui se passe et se dit entre autres en Allemagne et en France, et auraient donc un regard plus lucide sur la question. L’animatrice Catherine Perrin a demandé à Lise Ravary dans quelle direction elle croyait que le débat à propos de ces enjeux allait évoluer. Réponse :

L. R. : Tristement, et faut pas que ça arrive, faudrait qu’il arrive quelque chose de majeur pour que peut-être il y ait une espèce de prise de conscience. Parce que, y a une espèce de [perception] que nous le Canada, on est fin, on est gentil, on a Justin, y peut rien nous arriver, on n’aura jamais d’attentat de masse…

C. P. : Vous êtes en train de faire de la prophétie autoréalisatrice…

L. R. : J’veux pas, j’veux pas !

C. P. : Parce que s’il y en a pas, y en a pas… Vous dites « faudrait que ça arrive pour que les gens croient que ça va arriver »…

L. R. : C’est plate, mais c’est ça.

C. P. : Mais on a peut-être un climat social qui fait que ça arrivera pas ?

L. R. : C’est possible et tant mieux, mais qui aurait pu croire que quelqu’un qui appartient à un mouvement contre le célibat imposé aurait pris un camion et tué 10 personnes ?

Ces amalgames, trop fréquents, sont non seulement loufoques, ils sont dangereux. Ce type de propos diabolise l’ensemble des membres (réels ou perçus) des communautés musulmanes et déforme, par ricochet, l’enjeu des accommodements raisonnables en vertu de suppositions tout aussi douteuses.

Sous-entendu : les islamistes sont responsables d’attentats contre les Occidentaux et ils sont religieux ; il ne faut donc pas tolérer d’intrusion de la religion dans l’espace public.

Toujours en vertu d’amalgames nébuleux, ce type de discours alimente en ce moment les craintes à l’endroit des immigrants et des immigrantes, puisqu’ils ont, pour certains, un bagage culturel et religieux différent de celui de la majorité québécoise d’origine canadienne-française et qu’ils sont vus comme des gens qui vont tenter d’imposer leurs mœurs et coutumes plutôt que de s’intégrer à la culture de leur société d’accueil.

Ce type de présomption vient légitimer l’idée de faire passer un test des valeurs aux nouveaux et nouvelles arrivantes. La Coalition avenir Québec (CAQ), en tête dans les sondages depuis quelques mois, propose formellement une telle mesure censée garantir l’intégration harmonieuse des personnes immigrantes.

Sous-entendu : c’est par inadéquation avec le Québec et ses valeurs ou par rejet de la culture québécoise que les immigrants peinent à s’y faire une place.

Des chercheurs ont pourtant montré que ce type d’évaluation (test ou contrat de citoyenneté, cours d’intégration, etc.), en vigueur notamment dans certains pays européens, sert davantage à réguler les flux d’immigration qu’à faciliter l’intégration des nouveaux arrivants. D’autres ont souligné que la réussite de l’intégration dépend plutôt en grande partie de l’attitude de la communauté qui accueille à l’égard des populations immigrantes.

À ce propos, au Québec, comme dans le reste du Canada d’ailleurs (quoique dans une moindre mesure à certains endroits), les immigrants vivent de la discrimination. Les pratiques discriminatoires font, entre autres, obstacle à leur intégration au marché du travail et expliquent en partie les inégalités socioéconomiques qui les affectent.

Or, le racisme, qui empêche les personnes immigrantes de prendre la place qui leur revient, est justement alimenté par les préjugés évoqués plus tôt. La fin de semaine dernière, des membres du groupe d’extrême-droite Storm Alliance sont carrément allés manifester aux abords du chemin Roxham à Lacolle, par où arrivent des demandeurs d’asile au Canada. On pouvait lire sur certaines de leurs pancartes « Pas de charia au Canada » et « Imigration “oui” Religion “non” » [sic]. Ce genre d’événements s’est malheureusement multiplié dans la dernière année.

De telles expressions de xénophobie menacent la paix sociale au Québec et, pire encore, mettent en danger la sécurité de certains citoyens et citoyennes. Faut-il rappeler qu’il y a à peine 18 mois, un jeune homme tuait froidement six Québécois de confession musulmane, en plus d’en blesser cinq autres gravement, alors qu’ils priaient paisiblement à la Mosquée de Québec? Le meurtrier, Alexandre Bissonnette, a admis qu’il voulait ainsi « sauver des gens » de potentielles attaques « terroristes ».

Pourtant, à l’aube de la prochaine élection provinciale, il y a fort à parier que c’est sur le dos des immigrantes et des immigrants que l’on cassera encore du sucre, de même que sur celui des communautés musulmanes – pour ne pas dire sur celui des femmes musulmanes. Dans une province qui prétend avoir pour valeurs fondamentales l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que le pluralisme, ce sera un spectacle des plus déplaisants à regarder.

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