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L’Institut Fraser et le salaire minimum

11 mars 2016

  • Minh Nguyen

La semaine dernière, des économistes du Fraser Institute ont publié un document sur les travailleurs et travailleuses au salaire minimum dans lequel ils affirmaient qu’une proportion importante de ces derniers et dernières restent chez leurs parents ou vivent avec un·e conjoint·e qui gagne assez pour que le ménage se retrouve au-dessus du seuil de la pauvreté.

La conclusion logique du Fraser face à ces chiffres est qu’augmenter le salaire minimum n’est pas une mesure qui puisse aider de manière durable les travailleurs pauvres. Les chiffres qui choquent du Fraser soutiennent que 87.5 % des salarié·e·s au salaire minimum vivent dans des ménages qui se situent au-dessus du seuil de faible revenu. Il n’est pas question de dire ici que les chercheurs du Fraser se trompent sur leurs chiffres. Cependant, nous allons voir que le travail de catégorisation a forcément des implications normatives très concrètes.

D’abord, la catégorie de salaire minimum à partir de la définition légale de la chose utilisée par le Fraser Institute est problématique et sous-estime le nombre de bas salarié·e·s. Pour parler des travailleurs et travailleuses qui ont des emplois au salaire minimum, l’ISQ propose plutôt l’utilisation du calcul de salaire minimum plus 10 %. Ce 10 % équivaut à la marge de qui prend en considération les augmentations qui viennent avec l’ancienneté chez un employeur au salaire minimum au fil des ans. Autrement dit, avec le travail de catégorisation de l’ISQ, les salarié·e·s à 10,35 $ par heure (salaire minimum de 2014, utilisé dans le document du Fraser et celui de l’ISQ) se retrouvent dans la même catégorie que ceux et celles qui sont payé·e·s à 10,36 $ à 11,38 $. Si on prend donc la catégorie du Fraser, on se retrouve avec 210 000 bas salarié·e·s au Québec et on exclut les salarié·e·s à 10,36 $ par heure parce qu’ils et elles ne sont pas, d’un point de vue légal, employé·e·s au salaire minimum. Si on prend la catégorie de l’ISQ, on se retrouve avec plus de 450 000 bas salarié·e·s qui vivent avec un quotidien très semblable à celui des travailleurs et travailleuses au salaire minimum. Déjà là, on se retrouve avec un problème important dans la mesure où il y a un court-circuit entre les chiffres et la réalité.

Donnons cependant le bénéfice du doute au Fraser un moment. Pour le cas de figure d’un ménage composé de 2 adultes, au Québec en 2014, le seuil de faible revenu pour 2 personnes dans une ville de 500 000 habitants et plus (Montréal, Toronto, Vancouver, etc) était de 24 536 $ (calcul à partir des chiffres (ici et ici) et de la méthodologie de Statistiques Canada). Si une personne travaille au salaire minimum à 37,5 heures par semaine, combien son conjoint ou sa conjointe doit-elle gagner pour qu’après impôts, cotisation et transferts, elle atteigne ce seuil? Environ 825$. Oui. 825$. Il suffit donc de travailler à temps plein au salaire minimum et d’être en couple avec quelqu’un qui gagne 825$ dans une année et on se retrouve alors dans une situation acceptable sur le plan économique? La proposition nous semble douteuse.

Devant ces problèmes d’ordre méthodologiques, on propose plutôt d’aborder la question des bas salariés et des travailleurs pauvres par rapport un salaire viable. On parle d’un salaire horaire qui permet à un travailleur ou une travailleuse à temps plein de subvenir à ses besoins physiques et sociaux sans grandes extravagances, à ceux des personnes à sa charge en plus de se dégager une petite marge de manœuvre pour envisager une certaine mobilité sociale (étudier à temps partiel pour se trouver un meilleur emploi éventuellement). Puisque le coût de la vie est différent d’une municipalité à une autre, ce salaire est calculé localement et par rapport à des situations particulières et à des besoins qui sont ancrés dans le quotidien des travailleurs et des travailleuses.

Pour 2014 (année de référence dans le document du Fraser), le salaire viable à Montréal ou à Québec se trouvait à être entre 14 $ et 15 $ (la variation dépend de la situation). Pour cette même année, au Québec, il y avait environ 1 000 000 de travailleurs et travailleuses qui étaient payés moins de 15 $ par heure. À titre de référence, rappelons que pour cette même année, on parle d’environ 3 500 000 salarié·e·s au Québec. 28 % des salarié·e·s, donc, au Québec, ne gagnaient pas un salaire assez élevé pour se sortir de la pauvreté.

Au Canada (incluant le Québec), pour la même année, nous devons souligner que la grande majorité des travailleurs et des travailleuses gagnant 15 $ par heure et moins en 2014 n’étaient pas aux études comme nous pouvons le voir au tableau 1.

Tableau 1 : Pourcentage de la population au Canada aux études et employée pour 15 $ par heure et moins

SOURCE : EPA 2014

Difficile, donc, de soutenir la thèse que la vaste majorité des gens gagnant moins qu’un salaire viable ne dépendent pas de leur salaire pour vivre. Difficile aussi de voir l’ensemble des salaires non-viables comme des emplois étudiants. D’une manière ou d’une autre, ces chiffres soulignent un problème plus grand encore qui est la rupture du pacte implicite entre le travailleur et la société dans laquelle il vit, comme quoi si on travaille, il sera possible de sortir de la pauvreté.

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