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L’avenir radieux d’un Canada déficitaire (mais pas trop)

24 mars 2016


Le Canada est un pays vaste et magnifique, doté d’aires naturelles époustouflantes et impressionnantes » (p. 119). On dirait presque que c’est Justin Trudeau lui-même qui a tenu à écrire certaines lignes du premier budget de son gouvernement. Une chose est certaine néanmoins, au-delà de l’enflure verbale, ce premier budget libéral marque un indéniable changement de ton.

Tel qu’annoncé en campagne électorale, le budget renoue avec les déficits bien qu’il se garde d’atteindre les 30 milliards. Les investissements en infrastructures qui font augmenter les dépenses de l’État sont divisés en trois grandes enveloppes qui marquent également une rupture avec l’ère conservatrice : transports en commun, traitement des eaux usées et infrastructures sociales. Cette dernière catégorie inclut des logements abordables parce que, comme le dit le budget, « lorsqu’il y a pénurie de logements abordables, toute l’économie du Canada en souffre » (p. 109).

Oui, il est vrai, le déficit a l’air élevé. Mais il semble trop petit lorsqu’on le compare à tout ce que le gouvernement dit vouloir accomplir. À regarder les chiffres, on a la distincte impression qu’on aurait voulu dépenser plus, mais qu’il a repoussé des investissements d’un an ou deux simplement pour ne pas dépasser le cap psychologique de 30 G$. Pourtant, la situation financière du Canada lui aurait permis beaucoup plus de marge de manœuvre. Ses frais de dettes n’ont jamais été aussi bas (p.52), et les taux d’intérêt auquel il a accès pour ses prêts sont plus qu’avantageux (p. 22). Cependant, comme on diabolise sans arrêt les déficits, le gouvernement a préféré limiter ses dépenses, quitte également à limiter ses effets. Ainsi, le déficit de 29 G$ ne permettra qu’une augmentation de 0,5% du PIB (p. 293). Modeste. On aurait voulu plus d’infrastructures sociales, plus de transport en commun, plus de transferts en santé.

Selon le ministre Morneau, le budget permettra la création de 43 000 emplois la première année. À titre comparatif, le Budget fédéral alternatif de nos collègues du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) proposait un réinvestissement dans l’économie permettant la création 360 000 emplois, en plus d’une hausse de 4% du PIB de l’économie canadienne.

Le budget 2016-2017 hausse certaines dépenses, mais le budget n’agit pratiquement pas sur les revenus, ce qui deviendra un problème important dans les prochaines années. En l’absence de ces revenus, les nouvelles dépenses, pourtant modérées, seront dénoncées comme dépassant la capacité fiscale du gouvernement canadien. Les baisses d’impôts confirmées par ce budget sont mal avisées puisqu’elles ne visent pas les bonnes personnes et elles ne renversent absolument pas les baisses d’impôts colossales concédées aux entreprises depuis une quinzaine d’années. En d’autres termes, l’État demeure atrophié même s’il réalise de nouveaux investissements.

Mais avant de déchirer notre chemise devant la « mauvaise gestion » du gouvernement, regardons ce qui semble avoir été leur priorité. On peut voir trois groupes qui sortiront particulièrement gagnants du budget. Pensons par exemple aux personnes âgées qui conserveront leur droit aux prestations à partir de 65 ans et pour qui le supplément de revenu garanti a été bonifié quand elles vivent seules (p. 195). Les communautés autochtones et inuites profitent également de nombreuses subventions, tant pour le logement, l’éducation, que pour la santé. Quant à elles, les jeunes familles auront désormais droit à une allocation unifiée, bonifiée et distribuée mensuellement. Plus généreuse que le cocktail de programmes qui existait avant, l’allocation canadienne pour enfant diminue progressivement jusqu’à disparaître pour les ménages qui gagnent un peu moins de 200 000$. Pour ce qui est de la garde d’enfants, on propose d’abord de subventionner quelques centres, mais surtout d’investir 500 M$ dans les prochaines années pour mettre en place un cadre national en collaboration avec les provinces et les communautés autochtones et inuites (p. 114).

Cette stratégie de consulter avant de vraiment choisir ses priorités se retrouve à travers l’ensemble du budget. Le terme revient une quarantaine de fois, que ce soit pour évoquer une future bonification du RPC (p. 197), choisir les chantiers prioritaires en infrastructures sociales (p. 110) ou pour lancer la réforme électorale qu’ils ont promise en octobre (p. 242). Voilà un changement important dans le discours, mais qui laisse un peu sur sa faim. Bien entendu, on peut voir d’un bon œil que le gouvernement cherche à prendre le pouls avant d’imposer ses décisions, mais cela veut également dire que les orientations restent encore à définir. Ainsi, le budget est présenté comme celui de la « phase 1 », une phase qui ne durera que deux ans. Beaucoup reste donc à préciser.

On se retrouve donc avec un budget avec un ton radicalement différent, mais qui hésite à aller au bout de ses idées. Si plusieurs décisions du gouvernement conservateur sont annulées (le fractionnement du revenu, p. 69, le financement de la recherche fondamentale, p. 127, le financement de Radio-Canada, p. 212, etc.), il reste encore beaucoup à faire pour neutraliser les reculs socioéconomiques que le Canada a connu dans les 10 dernières années. Mais la direction dans laquelle on pointe permet un certain optimisme. Espérons qu’il n’est pas seulement l’effet d’un retour du balancier qui est allé trop loin.

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