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Houston, on va avoir un problème au Québec

10 septembre 2017

  • Eve-Lyne Couturier

Alors qu’une nouvelle tempête s’approche tranquillement des Caraïbes, l’eau se retire de Houston, laissant derrière elle des terrains contaminés et inondés, des rues détruites, des maisons à reconstruire, des infrastructures à repenser et des milliers de personnes dans des situations précaires. Au-delà des histoires d’horreur et des exemples de solidarité, la question des choix urbanistiques commence à faire surface. S’il est vrai que la quantité phénoménale d’eau ayant tombé dans la région aurait été dévastatrice quoi qu’il en soit, certaines décisions faites par l’administration municipale sont loin de protéger la ville en cas de pluie abondante.

Il faut d’abord comprendre que la ville de Houston a une position privilégiée pour recevoir des averses importantes. Située sur le bord du golfe du Mexique, de nombreuses tempêtes s’échouent sur ses côtes. Ainsi, elle a connu des inondations « historiques » en 2001, 2009, 2015 et 2016, en plus d’avoir reçu d’importantes quantités de pluie annuellement depuis sa fondation. Afin de s’en prémunir, de nombreux bayous, c’est-à-dire des canaux marécageux qui dirigent les précipitations vers le golfe, sillonnent la ville et permettent d’évacuer l’eau. De plus, des réservoirs ont été installés en périphérie. Ceux-ci n’ont rien à voir avec ceux que nous avons créés dans le nord du Québec à la suite de la construction de nos barrages électriques : il s’agit plutôt de larges forêts dont le sol poreux peut absorber l’eau, puis concentrer la pluie excédentaire avant de la diriger vers des canaux qui devraient permettre d’éviter son ruissellement dans des secteurs habités. Toutefois, l’étalement urbain s’étend maintenant jusqu’aux limites de ces réservoirs, ce qui réduit la zone tampon entre les ceux-ci et la ville. On assiste ainsi à la disparition de prairies et de plaines inondables sous d’innombrables projets immobiliers. Pas étonnant que l’eau ait de la difficulté à évacuer…

Mais là n’est que le début du problème. C’est que la ville de Houston vante depuis de nombreuses années sa décision de garder au minimum les régulations en termes de zonage ou de normes de construction (ce qui explique en partie que la ville se rende maintenant jusqu’aux réservoirs). Selon elle, c’est ce qui permet la vigueur de son économie. On pourrait aussi pointer l’industrie pétrolière ou le Texas Medical Center, le plus grand district hospitalier au monde, mais ne nous enfargeons pas avec l’économie mondiale.

Ce qui est certain toutefois, c’est que cette régulation limitée compromet la capacité du sol d’absorber l’eau de pluie abondante ou de construire des infrastructures et des habitations qui protègent non seulement les investissements de leurs propriétaires, mais la communauté environnante également. On se retrouve donc avec certains immeubles conçus pour affronter les pires inondations, mais qui dirigent l’eau vers des quartiers moins équipés pour affronter les mêmes dangers, ou encore des autoroutes bien larges, mais qui n’ont pas été conçues pour évacuer l’eau ou soutenir le poids d’une inondation. Quant à elle, l’absence de zonage peut être pointée du doigt pour les impacts plus importants dans les quartiers plus pauvres (et souvent plus racisés) qui comportent des usines polluantes ou des terrains vagues contaminés. Ainsi, bien avant que Harvey ne soit sur les écrans radars des météorologues, plusieurs experts annonçaient l’arrivée prochaine de précipitations qui mèneraient à une inondation sans précédent. L’ouragan était peut-être historique, mais il n’était pas inattendu.

Et à tout cela, il faut ajouter l’incapacité de l’administration locale à reconnaître que les changements climatiques affectent Houston et augmentent les risques d’ouragans dévastateurs ou de tempêtes destructrices. Ils refusent donc de réviser leurs plans qui circonscrivent les quartiers à risque d’inondation ou de revoir leur politique d’urbanisme ou routière. Pour eux, le flot à contrôler et à assurer est bien plus celui de la circulation que celui de la pluie, et le rêve américain d’avoir construit sa propre maison a encore préséance sur celui d’avoir un toit qui nous garantit la sécurité.

Il serait facile de pointer du doigt nos voisins du sud tout en restant confortablement dans notre Québec que l’on sent beaucoup plus en sécurité face aux catastrophes naturelles. Ce serait pourtant une erreur. Les inondations du printemps dernier montrent bien que nous sommes également vulnérables. Nous aussi, nous avons choisi de construire des logements en bordure de plans d’eau, sans égard aux risques. Nous aussi, nous avons vu que les zones jugées « inondables » ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’il y a 50 ans. Et nous aussi, nous habitons sur une planète qui se réchauffe et sur laquelle des désastres liés à la météo sont de plus en plus fréquents et de plus en plus sévères. Pour éviter le pire, cela nous prendra plus que des digues ou des réservoirs : il faut également revoir comment nous habitons le territoire et quelles infrastructures sont nécessaires pour répondre à nos besoins tout en respectant la capacité de la planète à absorber la pollution. Cela veut dire densifier les villes plutôt que les étendre, prendre le transport en commun ou le transport actif plutôt que l’auto solo, ajouter de la verdure plutôt que des stationnements et protéger les milieux humides plutôt qu’agrandir les autoroutes.

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