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Gazoduc Coastal Gaslink: après le « greenwashing », le « redwashing »

27 février 2020

  • Colin Pratte

En matière de respect des souverainetés autochtones, il n’y a pas que le premier ministre Trudeau qui affirme une chose et accomplit son contraire. L’industrie fossile se rend également coupable de ces contradictions entre paroles et actes. Si pour le premier ministre, le tout s’aperçoit par les mots creux qu’il emploie tels que « réconciliation », « promesse de reconnaissance », « excuses officielles », etc., la discordance de l’industrie se manifeste dans les différentes déclarations de principes qu’elle met de l’avant.

TC Energy

L’entreprise TC Energy (anciennement TransCanada) est la promotrice du projet de gazoduc Coastal Gaslink. Sa « Déclaration d’engagement en matière de relations avec les peuples autochtones »  nous renseigne sur son approche envers ces peuples. Le premier principe va comme suit : « Nous reconnaissons le lien unique que les peuples autochtones ont avec la terre, les ressources, et leur gouvernance communautaire ».

Le passage souligné constitue un élément important du litige actuel avec la nation Wet’suwet’en, puisqu’il porte sur la reconnaissance de la légitimité du mode de gouvernance ancestral de cette nation. En effet, alors que les conseils de bande, instance issue de la Loi sur les Indiens de 1876, ont signé des accords avec la compagnie pour le passage du gazoduc, les chefs héréditaires ont depuis le début refusé sa construction. Bref, il semble que TC Energy reconnaisse le mode de gouvernance ancestral des peuples autochtones tant et aussi longtemps que ces derniers ne l’évoquent pas pour s’opposer à leurs projets.

Ce comportement porte un nom : le redwashing. Dérivé de « greenwashing », cette opération par laquelle le pollueur parvient au moyen d’une opération de relations publiques à se présenter comme un bienfaiteur pour l’environnement, le redwashing se caractérise par une opération de relations publiques dont le but est de permettre à un acteur en position de non-respect des droits ancestraux des peuples autochtones de parvenir à se présenter comme bienfaiteur. Pour TC Energy, on retrouve cette intention bienfaitrice dans le passage de ses Principes directeurs où elle mentionne « aider les membres des communautés à acquérir des compétences requises par l’industrie ».

Cette novlangue de création d’emplois camoufle le véritable processus à l’œuvre, soit la dépossession des terres qui dépouille ceux et celles qui les habitent des moyens de subvenir de manière traditionnelle à leurs besoins. Il s’agit là du mode opératoire historique du capitalisme, dont le premier acte remonte au moment des « enclosures » des campagnes anglaises. Les paysans avaient alors été chassés de leurs terres et forcés de s’exiler vers les villes pour travailler dans les manufactures.

Shell Canada

Le gazoduc Coastal Gaslink a pour point d’arrivée prévu une usine de liquéfaction à Kitimat, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. Celle-ci est détenue à 40% par Shell. L’« engagement de Shell en matière de peuples autochtones » reconnaît les droits constitutionnellement protégés des peuples autochtones et affirme en ce sens qu’elle « doit être sensible aux commentaires des communautés autochtones où nos activités ont une incidence sur la capacité d’exercer des droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution, leur mode de vie, leurs traditions et leurs cultures ». Pourtant, les communautés touchées par son projet envoient depuis des semaines le signal clair que celui-ci entre en contradiction avec leur mode de vie, leurs traditions et leurs cultures. C’est à croire que pour Shell aussi, la reconnaissance des droits vaut dans la mesure où celle-ci ne contrecarre pas ses intérêts privés.

En matière d’emploi, l’entreprise a mis sur pied un programme spécifique à la main-d’œuvre autochtone, dont le but est « d’investir dans les capacités humaines pour assurer la participation des peuples autochtones en tant que membres qualifiés et qui contribuent au succès de Shell Canada ». Traduction : ce que le capital dépossède, il le remet ensuite en opportunité d’emplois, les peuples ayant la chance de devenir des salariés exploités et exploitant les ressources du territoire qu’ils possédaient auparavant de droit. Terres et travail deviennent marchandises.

En somme, le redwashing est une forme comme un autre de discours idéologique qu’utilisent les représentants d’intérêts privés afin de se présenter comme porteurs de l’intérêt général. L’exploitation capitaliste d’un territoire et de sa main-d’œuvre nécessite en premier lieu l’expropriation politique, accompagnée de ses discours mystificateurs. L’histoire coloniale du Canada est celle de cette expropriation et la crise actuelle en constitue le plus récent chapitre. À mesure que l’extraction fossile, minière ou forestière intensifiera sa « course à ce qu’il reste », les actes de dépossessions et de résistance à celles-ci continueront de s’accumuler dans les annales de notre histoire.

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