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Northvolt, Volkswagen et le Luxembourg: l’antichambre fiscale d’un projet incertain

24 septembre 2024

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5min

  • Colin Pratte

La réalisation d’une usine de Northvolt en Montérégie est incertaine depuis un ralentissement des investissements mondiaux dans la filière batterie. Lundi dernier, l’entreprise annonçait la mise à pied de 1600 salarié·e·s, jetant une douche froide supplémentaire sur le projet. À ce jour, les mérites écologiques et économiques allégués de l’usine justifient son appui massif par des fonds publics. Or, il semble qu’on soit plutôt face à un énième projet porté par une entreprise multinationale qui a reçu de généreuses subventions publiques, mais dont l’actionnaire principal multiplie les stratagèmes fiscaux pour diminuer en toute légalité ses contributions fiscales aux trésors publics à travers le monde. 

En novembre dernier, l’IRIS publiait une étude faisant état de quelque 70 entreprises canadiennes ayant transféré 120 milliards de dollars de profits nets au Luxembourg dans la dernière décennie. La même méthodologie appliquée au premier actionnaire de l’entreprise Northvolt dresse un portrait fiscal tout aussi sombre.

Portrait actionnarial de Northvolt

À sa naissance en 2017, l’entreprise Northvolt était détenue par des investisseurs peu connus. Depuis 2019, le groupe Volkswagen en est devenu le premier actionnaire, fort de sa participation de 21% dans l’entreprise suédoise. Le tableau suivant présente le portrait de la propriété de Northvolt.

La présence du deuxième plus grand manufacturier automobile au monde est une bonne nouvelle pour Northvolt. En effet, Volkswagen commande déjà des batteries de l’usine de Northvolt située en Suède. Et comme le groupe Volkswagen projette la construction d’une usine de voitures électriques en Ontario, il pourrait potentiellement s’approvisionner à la future usine québécoise de composantes de batteries. La venue de Volkswagen pourrait cependant représenter une mauvaise nouvelle d’un point de vue fiscal. 

Le manufacturier allemand est en effet réputé pour organiser la détention de ses actifs depuis le Luxembourg. Sa filiale Volkswagen Finance Luxembourg, qui détient directement 21% de Northvolt, concentre des actifs de 92,5 milliards de dollars issus de la détention partielle ou entière de 45 filiales du groupe établies dans 30 pays du monde. Par exemple, Volkswagen Finance Luxembourg détient 100% de Volkswagen Group Canada, ou encore 100% de Volkswagen Group Korea. Le tableau suivant présente les actifs contrôlés par Volkswagen Finance Luxembourg.

Fort de cette structure fiscale, Volkswagen est en mesure de transférer d’importants profits vers le Luxembourg, une plaque tournante des stratégies d’évitement fiscal des entreprises multinationales du monde. Depuis 2014, Volkswagen Finance Luxembourg a cumulé des profits nets de 22 milliards de dollars. Le tableau suivant présente l’évolution des profits annuels déclarés au Luxembourg par le groupe Volkswagen.

Autre signe de la finalité strictement fiscale de cette filiale de type « holding », Volkswagen Finance Luxembourg n’employait que huit salariés en 2023. Les informations disponibles empêchent de déterminer avec précision les conséquences fiscales des stratégies de Volkswagen au Luxembourg pour les trésors publics du monde entier. Les états financiers de la compagnie font toutefois état de la stratégie d’évitement fiscal de la dette intragroupe, présentée dans l’étude de l’IRIS parue l’année dernière. Cette manœuvre consiste à octroyer des prêts portant intérêt entre les filiales d’un même groupe afin de diminuer artificiellement le revenu imposable des entités situées dans des régimes fiscaux aux taux d’imposition plus élevés. 

Les filiales de Volkswagen au Luxembourg cumulent environ 32 milliards d’euros de prêts consentis à des filiales du groupe à travers le monde. En 2023 seulement, ces prêts ont permis le transfert légal de revenus d’intérêts de 820 millions d’euros vers le Luxembourg. Ces frais d’intérêts factices diminuent l’assiette des revenus imposables des entités actives de Volkswagen à travers le monde. 

En ce qui a trait à Northvolt, une filiale luxembourgeoise de Volkswagen a consenti un prêt à long terme de 349 millions d’euros à Northvolt en Suède, dont les intérêts éventuellement versés pourraient être déduits en tout ou en partie du revenu imposable de Northvolt en Suède. Les revenus d’intérêts engrangés au Luxembourg par Volkswagen sont ensuite peu ou pas imposés du tout. Pour le moment, et signe que Northvolt souffre d’un manque de liquidités, les intérêts dus à Volkswagen Luxembourg sont convertis en parts d’entreprise. À noter cela dit que ce prêt n’est pas une dette intragroupe à proprement parler, puisque Northvolt n’est pas une filiale de Volkswagen Luxembourg, mais une entreprise dans laquelle elle investit.

Nous savons également que Volkswagen comptait parmi les 343 entreprises citées dans les LuxLeaks de 2014. Cette fuite d’informations avait permis de constater comment les entreprises multinationales et le Luxembourg procédaient pour organiser l’évitement fiscal qui y avait cours. Le Grand-Duché approuvait à l’avance la légalité des structures fiscales des entreprises par l’intermédiaire de décisions fiscales anticipées. Ce procédé donnait des garanties aux entreprises désireuses de recourir au Luxembourg, un État sûr étant donné son statut de membre de l’Union européenne. 

Incertitude économique entourant l’usine Northvolt: un mal pour un bien?

La fiscalité de l’actionnaire principal de Northvolt ajoute aux aspects négatifs de la filière batterie, qui loin d’être une panacée sur le plan écologique, peut se révéler également désastreuse pour les finances publiques des États. La filière batterie, du moins celle en développement en Amérique du Nord, semble s’ajouter à tous les autres secteurs économiques (technologies, ressources naturelles, finance, manufacturier, médias, etc.) dont les entreprises usent et abusent des paradis fiscaux. Bien entendu, le tout se déroule grâce au concours de certains États, dont le Canada, qui en perpétuent la légalité.

La transition écologique se limite pour le moment à des changements technologiques, alors que le régime duquel on doit transitionner est avant tout cette économie dominée par de grands groupes qui parviennent à se hisser au-dessus des lois les plus élémentaires, souvent avec l’assentiment de gouvernements acquis à leur cause. Le cas de la filière batterie est à cet égard navrant et rappelle le mauvais film qui ne cesse de jouer dans les sociétés du monde entier, où le ministre de l’Économie du moment célèbre avec panache l’arrivée d’une énième entreprise et de ses actionnaires qui profiteront de généreuses subventions publiques, d'infrastructures de transport, d’une main-d’œuvre en santé et éduquée, d’un système de police et de justice, etc., tout en évitant de payer leur juste part d’impôts.

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